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†††  Meus Goth  †††
20 décembre 2007

La Tour de Cartons

The_Dark_City

Je me trouvais au milieu d'un environnement urbain, probablement le centre d'affaire d'une grande ville, et du haut de mon promontoire, je pouvais m'attarder sur les détails de chaque rue, de chaque bâtiment, appréhender la manière dont ils étaient agencés les uns par rapport aux autres, et analyser les architectures retenues en fonction de leurs usages.

En face de moi et à ma gauche, se déroulaient presque à perte de vue de longues avenues ; la circulation n'était pas dense, bien au contraire. Il devait être tôt, car bien qu'il fasse complètement jour, les raies de lumière sourdaient encore timidement au travers de la grisaille matinale. Au pied de mon promontoire, vacillant sous la caresse enveloppante du vent, j'observai sur ma droite, un chantier où des engins manœuvraient afin de jeter les fondations de ce qui serait visiblement un important ouvrage. Depuis mon emplacement, c'est à peine si je percevais les bruits de leurs déplacements.

Le promontoire sur lequel j'étais ainsi perché se révéla en vérité constitué d'un colossal empilement de gros cartons blancs, et manifestement vides. Cet empilement s'élevait à une hauteur de quelques trente ou quarante mètres, et de son sommet je surplombais bon nombre des constructions avoisinantes. Seuls les grands immeubles et les tours de bureaux le dépassaient. Je me demandai perplexe comment j'étais arrivé là, je revoyais tout au plus comment j'avais pu escalader les derniers degrés. Je sentais le vent au contact de ma peau, car mon corps était totalement nu mais je n'en concevais aucune gène. Il apparaissait tel que je le connais, svelte et pâle, et les jambes fléchies, se tenait prêt à bondir s'il le fallait. Les oscillations du promontoire sous la poussée du vent tendaient à m'inquiéter : je m'interrogeais sur le temps qu'il tiendrait. Une bourrasque un peu violente ne risquait-elle pas de l'emporter, et moi avec ?

J'imaginai un moyen de descendre, mais renonçai presque aussitôt. Je devais concentrer mon attention sur l'environnement alentour afin de garder mon équilibre et ne pas me laisser impressionner à la vue des ondulations des colonnes de cartons qui me supportaient.

SUITE...

Je ne ressentais nullement la résistance du vent. Son étreinte se faisait délicate et douce, et à son contact, aucun frisson ne me parcourut l'échine. On eût dit un murmure... Et la tour aux cartons sous mes pieds semblait danser du pas d'un colosse ankylosé qui s'anime. Je craignais qu'au moindre faux mouvement de ma part, la colonne ne se déstabilisât, à en juger la rapidité où je m'éloignais ou m'approchais des bâtisses. Comme je conservais l'équilibre les bras écartés comme un oiseau qui prend son envol, j'aurais voulu imiter Icare s'élançant dans sa quête folle. Mais l'étreinte des vents se resserra sur mon corps, et tandis que ma poitrine était ainsi prise en tenaille, le lieu mouvant où je virevoltais bien malgré moi l'instant d'avant me parut soudain calme, chaud et apaisant. Les divinités avaient-elles entendu ma détresse avant même qu'elle n'arrive à mes lèvres ? Ou bien tout s'était-il terminé si précipitamment que je n'avais pas vu venir la chute ? Non, je n'étais pas retourné à la poussière, alors qu'un chœur se fit entendre et que j'y perçus des louanges...

"Nymphe immaculée des ondes miraculeuses,
Amante convoitée de l'Olympe païenne,
Tu insuffles aux rives les douceurs de l'Eden,
Héroïne des cœurs et des amours heureuses.
A chaque étreinte défiant du Temps l'avarice,
L'âme ne se repaît jamais de tes délices,
Ivre quand mes lèvres te brûlent sous ton châle,
Enchantée par tes yeux baignés la nuit d'opale."

"Drôle de façon de se faire annoncer", me dis-je à moi-même. Mais l'écho de mes pensées se répandit dans le mystère opaque de ces lieux sans commencement ni fin. Je n'étais pas tout à fait plongé dans l'obscurité. La lumière qui filtrait jusqu'à moi avait éveillé mes paupières de sa clarté diffuse et sereine. Et le chant des fées au loin se fit plus précis qu'auparavant. J'avais été déposé sur le tapis de mousse verdoyante d'un Eden. Odin aurait pu vivre ici, et laisser couler les siècles sans se préoccuper davantage des vicissitudes du monde que du ruisseau au bord duquel on étanche sa soif. Perdu dans la contemplation de ma propre félicité, je n'avais pas pris conscience du jardin qui m'entourait au-delà des franges de végétation venant se poser aux extrêmes frontières de mon être. Mon esprit, lui, vagabondait au gré du ressac de mes pensées, se succédant en vagues toujours plus extatiques.

A mon réveil, on célébrait une grande occasion, et l'ambiance était à la fête. Les visages des convives étaient emprunts de l'allégresse du banquet, et ce sentiment si communément partagé me contamina bientôt. Une jeune femme à la démarche altière vint s'asseoir près de moi, comme pour s'enquérir de mon état. On parlait d'un nouveau qui arrivait de loin. Je ne fus pas même surpris lorsqu'elle s'alanguit tout contre moi. L'insouciance de cette belle après-midi flottait pour tous dans l'air avec la légèreté suave d'essences parfumés. Puis sa silhouette, ainsi que sa longue crinière ondulée m'étaient familières. Je connaissais même son prénom. D'où cela me venait-il ?

Souvent lorsque mon cœur par trop de solitude accablé souhaitait se réchauffer au foyer des déshérités, oui, souvent, elle se manifestait, envoûtante et charmeuse, comme tirée d'un lointain univers onirique, appelée par mon chant de détresse. Maintes fois, elle était venue me consoler et apaiser mon chagrin. Mais comme si elle avait souhaité que je puisse reprendre confiance en moi, elle m'avait dissimulé les traits de son visage.

Elle ne m'en faisait désormais plus mystère, et ses regards perçant à travers moi me disaient clairement qu'elle souhaitait me les voir graver à jamais. Ses regards venaient de m'arracher à la fête. Sans qu'elle m'en privât, je n'y songeai plus, elle occupait chacune de mes pensées. Elle avait toujours été près de moi tout au long de ma vie. J'avais pris conscience d'elle, je crois, en même temps que mes premières amours, et depuis, elle ne m'avait jamais vraiment quitté.

"Nathalie...
- Oui, Amour ?
- Où sommes-nous ? Comment suis-je arrivé ici ? Pourquoi tout ce temps avant de te rejoindre enfin ce jour ?
- Tu disais jadis que la femme idéale était pour toi la prochaine, te souviens-tu ?
- Oui...
- Et depuis quelques temps, tu t'es rendu compte, je crois, que tu n'avais pas emprunté la bonne voie, que celle-ci serait sans issue. Tu n'es pas fait pour les amours terrestres, mon cœur. Tu l'as toujours su au fond de toi, je pense. Mais tu devais par toi-même en prendre pleinement conscience, avant que je vienne te chercher. Maintenant, nous sommes réunis pour l'éternité !"

Et tandis que je lui donnai mon consentement tacite, le sourire de ma nymphe embrasa la Terre et le Ciel, son être recouvrit les deux à la fois, emplit si fort mon cœur et mon âme qu'ils semblèrent devoir exploser tous deux. Quand nos existences eurent fini de s'unir pour toujours, je sus que je l'avais toujours attendue et qu'en la serrant tendrement contre moi, j'avais tout ce à quoi j'avais jamais aspiré.

Dans un ailleurs lointain, le colosse blanc qui m'avait arraché à la terre du monde ici-bas se redressa soudain de toute sa hauteur, puis les blocs qui le constituaient se détachèrent en myriades d'ailes immaculées, portées par les vents ascendants. On les vit s'élever très haut, comme une nuée d'oiseaux migrateurs qui prennent leur envol pour un long voyage, quand enfin ils disparurent dans des contrées éthérées.

S'il est des lieux incertains en ce monde, c'est bien aux carrefours où les civilisations et les époques se croisent. Et de tout temps, elles enfantent des êtres qui ne peuvent appartenir à aucune d'entre elles.

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Commentaires
L
Quelle imagaination débordante....c'est captivant...que de talent mon adoré...c'est toujurs aussi ce que tu écris, tout est beau venant de toi...quelle plume extraodinaire qu'il ne faut hésiter à exploiter mon adoré...Bisous passionnés mon bien -aimé, au plaisir de te lire, comme toujours...
G
Toujours aussi beau et bien écrit, je crois que je ne me lasserais jamais de la lire...
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