Les Valeurs du Mouvement Gothique
A toi dénommé gothique, qui te repais de ta souffrance comme d'une nourriture spirituelle et vas puiser dans le désespoir la chaleur du réconfort nécessaire à tes nuits, à toi te sont consacrées ces lignes. Qu'elles jettent désormais un peu de lumière dans l'obscurité qui est nôtre et sur les ombres qui cheminent en nos pensées.
Trop d'encres ont coulé en quête d'explication sur la portée et la signification du mouvement gothique, pour finalement s'essouffler en de vaines assertions, en arrivant à restreindre ses appartenances à quelques critères bien arbitraires, à l'opposé de celle que nous chérissons tous : l'ouverture d'esprit. Combien d'écrits plein de palabres à propos de vrais ou faux gothiques, ou remplis de clichés martelant dans l'opinion collective qu'être gothique devrait requérir des dispositions psychotiques ? D'ailleurs, nombre de personnes empêtrées dans un mal-être existentiel aiment nous représenter plus fébrilement que tout autre. L'expression « être gothique » déjà me gêne, comme si elle impliquait une définition, un cadre, et donc une autorité pour l'établir, une manière de contrôle. Bien au contraire : « Bienvenue à tous, qui arborez l'extravagance de l'allure et la noirceur du costume tranchant sur la pâleur du corps ! » Après tout, peut-être le nombre contribuera-t-il un jour à nous garder des comportements hostiles de ceux qui nous regardent comme un vague phénomène de bizarrerie… Mais en général, le nombre défend la norme et suit les modes, et Hécate sait comme nous n'avons d'attachement ni pour l'un, ni pour les autres.
Ainsi, il n'est nullement nécessaire d'esquisser des dessins macabres à dix ans ou de se scarifier à seize, pour légitimer son appartenance au Gothisme. Malheureusement, en partie à cause de cela, j'ai plus souvent lu des textes récapitulant ce qui n'est pas gothique, que d'autres où l'on s'est efforcé de dire ce à quoi ça peut correspondre. Je me garderai donc bien d'étoffer les premiers.
Avant toute chose, pourquoi ce choix d'une couleur omniprésente, la non-couleur comme l'appellent certains ? Cela va au-delà d'une compréhension purement mythologique : on ne s'habille pas en noir pour marquer une appartenance au Monde des Ténèbres, au Mal, à la Sorcellerie ou encore à la Magie Noire. Dans le monde actuel, on s'habille en noir comme on revêtirait une armure contre tous les cancers et les fléaux humains qui minent l'existence et la plongent dans l'adversité. Au nombre de ces maux, sont inclus sans réserve par exemple la discrimination et l'exclusion, les préjugés et les idées reçues, les doctrines et le fanatisme, le colonialisme, le profit à outrance, le rationalisme de l'ère industrielle, … Au contraire, nous défendons des valeurs telles : l'individualisme, la liberté de penser, l'émotion, la dignité humaine, l'identité culturelle, l'anti-conformisme, la distinction et le respect. La non-couleur sert de trame pour édifier de nouvelles vues, elle est propice à l'inspiration et aux arts, à la liberté de penser et à l'imaginaire. Elle constitue un terrain vierge favorable à la créativité, oublieux des tabous et préjugés qui l'inhibent et réfrènent l'épanouissement individuel. Le noir devient ainsi le symbole de la réflexion, de la « libre pensée », en même temps qu'un refuge où s'y adonner, loin des oppressions et des machines normatives.
Son lien à l'Obscur, à toute l'imagerie démoniaque et vampirique, forme une sorte de théâtre, où le monde est mis en scène afin de lui renvoyer sa propre image par le truchement d'un jeu de miroirs à multiples facettes. L'un dit : « Vois la violence dont tu nous accables. Alors nous te la renvoyons à la face, car nous ne l'acceptons pas. » L'un dit encore : « A ceux qui sont si solidaires des normes et des idées reçues, voyez le courage dont vous avez manqué les jours où vous vous êtes rangés derrière la majorité discriminante, celle qui juge avant d'essayer de comprendre, car à cet instant où vous me regardez avec hostilité, je sais porter mon fardeau avec la conviction que je peux contribuer à ce qui est juste et serein. » Un autre dit : « Nous ne craignons pas de te provoquer, voire de te scandaliser, si scandalisé tu crois être, en espérant que cela t'incite d'une manière ou d'une autre à te poser un jour les bonnes questions sur ce que tu penses voir de tout ce qui t'environne. » Un autre miroir dit aussi : « Ouvre les yeux comme un nouveau-né, ouvre ton esprit à tout ce qui te semble étranger, analyse par toi-même, ne laisse jamais quiconque juger à ta place, et ainsi renais et vis de tes propres ressources. »
Nous affectionnons le mythe du vampire, car le Suceur de sang incarne cette disposition à se laisser imprégner de ses perceptions - à les boire - et à ouvrir son cœur pour ensuite les appréhender, les assimiler, s'enrichir de leur expérience et progresser. Le Démon n'est pas cette entité apocalyptique et malfaisante, vecteur de la ruine et du chaos, tel qu'il est dépeint dans les ouvrages religieux, mais bien plutôt l'adversaire d'un dieu qui, lui, sanctifie la souffrance et justifie l'acceptation de l'injustice dans l'obtention du salut universel et le partage de Son amour : « Souffrez comme J'ai souffert sur la Croix et vous vous rendrez digne de Mon amour, autant que Je vous ai prouvé le Mien par le sacrifice de Ma propre chair. » Le Démon ne croit pas qu'amour et sacrifice soient intimement liés. Au contraire, le sacrifice est rituellement lié à la peur, et cet acte ne peut donc servir de preuve d'amour. Alors que pour le Démon, la souffrance détourne l'Homme de l'amour, Dieu voit dans le carnage des champs de bataille une élévation de Sa gloire. Comme le déclarait fort bien Jean Rochefort lors d'une apparition télévisée : « Les dieux quels qu'ils soient sont des étendards à boucherie, et les siècles sont là pour nous le rappeler. » Les religions promettent aux hommes le Paradis en échange de leur participation à des tueries qui en font des monstres sanguinaires ; elles ont servi de justification à d'innombrables massacres. Ainsi, la philosophie gothique rompt définitivement avec ce mode de pensée, avec la doctrine chrétienne ; et la religion ne sera jamais pour elle que l'un des plus grands maux de l'Histoire de l'Humanité. Par ailleurs, nous méprisons l'acharnement avec lequel ces religions ont cherché à humilier la Femme et à l'exclure de toute forme de compétence et d'autorité.Nombre d'artistes que nous affectionnons ont glorifié à travers leurs œuvres la Féminité, la partie féminine de l'univers au sens où l'entendaient les anciens païens avant l'avènement de la chrétienté. La vision de la femme est celle d'une égérie pour le triomphe de l'humanité sur un monde brutal, au-delà même des représentations héritées de l'antiquité grecque. Le Gothisme se défie du Christianisme, de n'importe quelle autre religion, et de toute forme d'obscurantisme : nous n'admettons ni dieu, ni maître.
Puisque la question ne manque jamais d'être posée, qu'est-ce qui fait la singularité de la pensée gothique, de cet état d'esprit ? La tristesse n'est pas une fin en soi, un mauvais moment à passer, dont il faut absolument se départir. Elle n'est pas vue comme une gangrène qui rongerait l'âme, mais comme une sophistication de la conscience, une dynamique interne acquise qui rassure par la façon dont nous avons appris à l'assimiler, tout au long de notre vécu. Nous pensons que la souffrance est une instance autonome de notre moi conscient, que le seul choix raisonnable soit de trouver une entente entre cette entité et nous-mêmes et de l'intégrer. Nous pouvons être plus forts si nous la rendons malléable au lieu de la subir. Son intégration est la source même de notre sombre esthétique ! Ensuite, nous ressentons également l'intensité de nos tourments comme celle d'autant d'efforts à exister, à donner une pérennité à la Vie et à l'intellect, et cette intensité, comme un lien tendu entre le monde et nous, nous fait prendre conscience d'un néant omniprésent, ouvert tel une bouche béante prête à nous engloutir. Après tout, la matière n'est-elle pas surtout constituée de vide ? C'est la conception spatiale du néant. Sa conception temporelle repose sur l'idée que la réalité tellement pénétrée de sa vraisemblance et ainsi figée dans sa propre observation en devient prévisible, et que cet état des faits nous oblige à une attente sans fin. Il est à souligner à ce propos que les membres du mouvement gothique n'espèrent généralement pas de changements importants de la société et cherchent plutôt à se distancier du rôle qu'on peut leur attribuer, tout assoiffés de liberté qu'ils sont. Par ailleurs, au sein du Gothisme, un thème est incontournable : la mort.Nous parlons de la séduction de la mort en ce sens que nous nous la décrivons telle une grande dame impartiale, la Camarde, avec laquelle il nous faut nous habituer à cohabiter, puisqu'elle est finalement l'issue inéluctable de chaque vie. Vaincre nos appréhensions en apprenant à la côtoyer sous cet angle tend à nous rapprocher par la pensée de l'immortalité : cette attitude se veut constructive, car si elle ne nous libère pas de notre condition, à tout le moins elle permet d'accéder à une forme de sérénité. La fréquentation des cimetières cadre donc logiquement avec cette philosophie qui intègre la mort comme une composante de nos vies : la contemplation de la Fin est un moyen de mieux comprendre leur déroulement et de communier avec l'éternité de l'instant présent. Enfin, notre sensibilité est empreinte de mélancolie et de romantisme, d'une sentimentalité à la fois aiguë et douloureuse, qui trouve son écho dans un attrait certain pour la Culture, qu'il s'agisse de Littérature, d'Art, de Musique, d'Histoire, ... Le Gothisme répond à l'alchimie de tous ces éléments.
Enfin, la Musique est dans sa spécificité un élément essentiel de rassemblement et nous tissons entre elle et nous un lien tout privilégié et intime. Elle reflète nos états d'âmes et nos tourments, nos joies et nos aspirations, elle nous accompagne tout au long de nos évasions quand notre volonté de détachement l'emporte sur les contingences, nous aimons à nous laisser pénétrer par elle, qu'elle embrasse tout notre être et l'emporte ! A ce stade, on peut légitimement parler de fusion. La Musique est la compagne de nos rêveries.
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