DISCOURS DE LA SARVITUDE VOLONTAIRE
d'après une idée originale
de
Calimero Premium
INTRODUCTION
Nous
vivons une sombre époque d'obscurantisme moderne, camouflé sous le
vernis faussement progressiste d'une morale orgiaque et décadente, pour
laquelle le destin de l'Homme passe après la satisfaction des appétits
des hommes. Les médias d'aujourd'hui chantent en chœur les gloria de la
médiocrité, et si l'Individu s'est hissé au rang de Veau d'or, un
faciès fort commun à ce jour se voudrait plutôt originaire du Gévaudan,
tant ses regards haineux font désormais la chasse à l'exception
intellectuelle. J'ai ici nommé : le SAR !
Cette théorie est toute empirique dans son essence. Il s'avère que
globalement nous sommes envahis par les SAR. Il s'agit en fait d'une
catégorie qui regroupe tous ceux dont l'existence ne cesse de confirmer
cette conclusion tragique régissant chacun de leurs actes : ils ne
Servent À Rien. Ils ne servent à rien, car toute leur existence est
dirigée vers un unique but : la négation de tout sentiment d'élévation.
ÉTUDE COMPORTEMENTALE DU SAR
Le profil du SAR peut être très divers, car dans
son peu d'originalité et d'authenticité, le SAR n'a peut-être qu'un
semblant de qualité : il trouve une manière pas tout à fait identique à
celle de son congénère de ne servir à rien. Cette disposition
salvatrice nous évite des overdoses récurrentes par saturation
spontanée. Voici quelques symptômes tels que vous les avez forcément
rencontrés un jour, qui sont caractéristiques du SAR.
Langage
Le
SAR s'affectionne à parler pour ne rien dire : il n'a rien à dire, mais
il le dit
quand même, c'est sa manière de combler un vide existentiel immense.
A l'excès, il lui arrive même de tomber amoureux de sa voix. Cette
anomalie très spécifique est désignée sous le nom de Symphonie À
Rebrousse-poil.
Parler
pour ne rien dire ne prendrait pas toute sa mesure si le SAR
n'insultait pas ce qu'il ne connaît pas gratuitement : c'est sa seule
attitude pour ne pas se sentir exclu de la masse des SAR, et cette
masse s'en trouve ainsi réunifiée et galvanisée.
La différence est ressentie comme une menace qui pèse lourdement sur
son incompréhension, et la place vient souvent à manquer pour une
remise en question, entre la masse et l'enclume. D'ailleurs, la
différence entre une enclume et un crâne de SAR, c'est la caisse de
résonance.
Pour résumer les dons linguistiques du SAR, une présentation succincte
du langage SARien demeure incontournable : le SAR s'exprime par des
onomatopées,
susceptibles de traduire une envie, une pulsion, une frustration. Quand
son lexique lui fait défaut, le SAR adopte le grognement. Plus son cri
est bâclé, haché et incompréhensible, plus l'état du SAR approche de
l'implosion/explosion. Attention aux éclaboussures et dommages
collatéraux ! Une présentation succincte pour une expression tout aussi succincte !
Loisirs
L'activité
de prédilection du SAR est de rester toute la journée dans
l'expectative : le SAR n'a pas de
projet, alors il attend, mais il ne sait pas encore quoi. A ce titre,
il joue parfois un rôle ornemental. Par exemple, cette curiosité qu'on
appelle les "poufs" s'assortit fort bien en général avec les potiches...
L'écho
du SAR consiste à écouter de la musique atroce : le SAR n'a aucun goût
musical,
mais comme il ne le sait pas, il se croit "branché", aussi en fait-il
profiter tout le monde — pardon, il emmerde tout le monde. Dans la rue,
dans les transports, ... Le SAR évolue parfois : il a remarqué qu'il
emmerdait tout le monde, et même s'il n'a pas compris pourquoi, cette
idée lui plaît (Le SAR n'a pas souvent d'idée).
Largement diffusée à l'initiative des maisons de disque, la musique
SARienne sévit partout dans les bacs — à sable. Souvenez-vous de ce
précepte : le bon rock n'officie point dans les cieux... A ce propos,
en considération de la manière dont les prétendues grandes maisons de
disque ponctionnent le porte-monnaie de tout un chacun, je me demande
parfois si maison du fisc ne conviendrait pas mieux.
Sexualité
Chez le SAR, l'appareil reproducteur, qu'il soit masculin ou féminin,
constitue à lui seul une entité autonome, capable de se substituer à
l'encéphale. Lors d'un stimulus visuel en présence d'une créature
sexuée, le SAR s'éveille en proie à sa libido, et entame une tentative
de rapprochement sous couvert d'approche familiale. Or l'approche
familiale du SAR est un pur réflexe de consommateur. La notion de
partage et d'échange est axée sur les pratiques liées à la
reproduction, et se réduit à l'obtention de sa satisfaction personnelle
de façon unilatérale. L'assimilation du partenaire à un objet sexuel
est chose fréquente.
Culture
Enfin, la culture SARienne est principalement
orale, rarement écrite, car pour le SAR, la langue écrite pousse le
vice jusqu'à imposer des règles, à commencer par l'orthographe, depuis
que Richelieu a jeté les langues d'oïl sur le feu et les langues d'oc à
la mer. D'ailleurs, Richelieu n'occupe pas tellement les boîtes à
chaussures du SAR, et le SAR observe une prédilection scrupuleusement
marquée pour les godillots de sport... Au nombre de ces règles, le SAR
décompte également la grammaire, ce carcan pervers inventé par des
grands-mères hargneuses, et qui veut que l'on ne dise pas n'importe
quoi n'importe comment n'importe où dans une phrase. D'ailleurs, le SAR
se défie de toute forme de ponctuation. La seule ponctuation qu'il
connaisse réside dans son souffle. Puis, comble de l'horreur — plus
encore si le SAR est François —, sa langue maternelle comporte pléthore
de mots ayant des sens similaires. Aussi a-t-il développé une
insensibilité aiguë envers les nuances qu'il relègue à l'état
d'onanisme cortical. En un traître mot, le SAR ne voit en cette langue
dont il se sent la victime autant qu'il l'agresse, qu'un outil, au même
titre qu'une clef à molette, une batte de base-ball, un opinel, un
poing américain, etc. En fait, le terme de culture SARienne revêt à peu
près l'ambiguïté d'un oxymoron...
Le SAR perçoit la curiosité et
l'apprentissage comme des attitudes archaïques de l'espèce. Il préfère
matérialiser son évolution au travers des produits technologiques
placés à sa portée par les agents du commerce libre. Et pour cause, le
SAR ne croit qu'en ce qu'il peut voir et toucher. En aparté, la
formation commerciale dite force de vente est une méthode mercantile
des plus brutales, spécialement étudiée afin d'augmenter les ventes
auprès des SAR, et elle-même élaborée pour être appliquée par des SAR.
UNE VIE DE SARVITUDE
Expansion
Ce phénomène tristement de plus en plus répandu est qualifié de SARvitude.
Il s'agit bien sûr d'un néologisme, et ce nouveau terme en agrège deux
autres : le sigle SAR et le mot servitude. Car le SAR est l'esclave de
cette inclination profondément enracinée dans son être. Selon son potentiel de SARvitude, le SAR peut associer différents
composants tribaux. En général, ces composants se greffent par
contamination au contact d'autres SAR présentant des variantes
inconnues jusqu'alors du sujet. Pour reprendre à la sauce SARienne une
citation de Patrick Timsit : "Tous les ans il y a de plus en plus de
SAR, mais cette année j'ai l'impression que les SAR de l'année
prochaine sont déjà là !"
On
ne connaît pas l'origine exacte de la SARvitude à ce jour. On ne
saurait dire si elle est acquise ou innée. Toutefois, il n'en reste pas
moins que certains regroupements sont propices à sa déclaration chez un
individu bêta, et à plus forte raison chez les bêtas et les bêtasses.
De manière générale, la population humaine semble petit à petit prendre
conscience de ce phénomène. On peut le constater au travers de
certaines expressions familières, voire grossières, mais révélatrices.
"Avoir les fils qui se touchent" ne laisse pas entendre que le SAR a
été touché par Dieu, mais suggère plutôt la présence de court-circuit à
l'origine d'un dysfonctionnement nerveux. "Être fini à la pisse" ne
signifie pas avoir un problème de rétro-incontinence : le géniteur aura
en fait manqué de semence procréatrice, et dans un élan d'extase,
l'aura diluée au champagne, pour que vienne quelques mois plus tard un
hideux petit SAR atteint d'une jaunisse natale. Non, ce n'est pas vrai,
tous les bébés ne sont pas beaux. Le fait que "ça sonne creux" ne veut
pas dire que le SAR a prévu de la place pour effectuer des travaux
ultérieurs d'aménagement et d'agrandissement : la vacuité de sa boîte
crânienne est une réalité définitive. "Avoir deux neurones qui se
battent en duel" n'est pas une manière de décrire une intense activité
cérébrale, mais plutôt la rareté des membres d'un réseau neuronal.
Vivre avec sa SARvitude
La
SARvitude peut être vue comme une de ces nouvelles maladies
contemporaines. Chez les cas de SARvitude les moins secourables, on
observe, en fin de sommeil paradoxal, c'est-à-dire peu avant le réveil,
des tremblements de tous les membres du corps, animés par des envies
frénétiques d'accomplir des actions stupides et vides de sens. Les
mouvements saccadés des globes oculaires témoignent de la formidable
projection du malade autour du déroulement de la première seconde de sa
journée. Pour un SAR condamné, c'est en effet pendant ce court laps de
temps que s'affirme l'aliénation de son identité humaine, et lui-même
mesure alors de manière jubilatoire toute l'étendue de son potentiel à
ne rien accomplir qui pourrait contribuer à améliorer son sort. Ce type
de crise chronique annonce de son point de vue une journée pleine de
réussites. Au mieux, son entourage verra en lui un boulet de douze que
son canon a envoyé sur les roses. L'engouement du SAR pour son état
s'explique du fait que sa SARvitude lui procure l'illusion avantageuse
d'être toujours au mieux de sa forme et de ses facultés.
Malheureusement, on ne meurt pas de cette maladie ; elle empêche
simplement de vivre ceux qui ne sont pas atteints, ou à tout le moins
détériore-t-elle leur qualité de vie. On ne sait pas traiter la
SARvitude, quel que soit son état d'avancement.
Le vivier de la
SARvitude est convivial, en ce sens où entre SAR, les patients se
comprennent et s'entraident dans leur cause commune, à savoir rendre
leur vie futile et insipide, avec tout de même des effets de bords non
négligeables sur leur environnement. Provocation, harcellement et
agression de non-SAR sont monnaie courante. Pour des personnes saines
de corps et d'esprit, la confrontation avec des SAR peut être très mal
vécue, entraîner un profond mal-être et une impression de solitude. Les
SAR sont effectivement très nombreux et partout. Certains cas de
SARvitude très avancés se lancent même dans le prosélytisme, ce qui
n'est guère de nature à susciter la compassion, mais plutôt un
sentiment d'indignation, voire de révolte ! Ce comportement si
envahissant pousse parfois les plus fragiles d'entre nous à des actes
désespérés afin d'échapper à cette pression, et il n'est pas rare
qu'ils aillent jusqu'à grossir les rangs des SAR en singeant leur mode
de vie.
La SARvitude plonge le malade dans un tel état
d'hébétude qu'il n'est pas en mesure de réfléchir sur les dimensions
que prend sa propre maladie. On peut ainsi voir des SAR se montrer
fiers de ne servir à rien, et le clamer haut et fort, ce qui est quand
même un comble.
Société À Risque
Profitant de l'ampleur du phénomène, certains filous ont trouvé prétexte
à s'enrichir en développant de multiples ramifications au sein de la
société de consommation. Ces ramifications permettent au SAR de
surmonter son handicap et de cultiver sa SARvitude. Eh oui : économie
et responsabilité ne vont pas toujours de paire...
Enfin, politiquement le SAR a des idées bien arrêtées : son parti
est la DémoCrassie. Il ne s'agit pas d'une faute d'orthographe de ma
part, ni d'un pied de nez à quelque cadre institutionnel que ce soit,
non que la Cinquième du nom ne s'en accorderait pas, mais comprenez
surtout par là :
"démonstration de crasse" (intellectuelle).
Face à l'expansion
sans précédent de la SARvitude que traverse notre époque, le monde tel
que nous le connaissions voit ainsi l'émergence de sociétés à risque.
Une triste page de notre Histoire est en train de s'écrire sous nos
yeux, sans que l'on sache actuellement comment enrayer ce phénomène.
CONCLUSION
La situation géopolitique de ce XXIème
siècle n'est pas totalement désespérée, dans la mesure où la SARvitude
n'est pas une fatalité pour qui n'a pas déjà succombé. Aussi je vous y
enjoins conjointement avec mes amis : résistez à l'invasion ! Quel pire
cauchemar que de devenir soi-même un SAR !?
Remerciements :
Tout n'est pas de moi, aussi je tiens à remercier les belles âmes qui ont permis l'édification de cette théorie, s'il en est :
Calimero Premium made in SAR
(co-inventrice du terme SAR, avec sa petite sœur)
Madrigal Intemporel
(de qui je tiens le terme de démocrassie)